“Merteuil” diabolique et féministe au Lucernaire

La Marquise de Merteuil, la diabolique libertine des Liaisons Dangereuses, ouvrage épistolaire de Choderlos de Laclos, renaît aujourd’hui sous les traits de la comédienne Marjorie Frantz qui a imaginé une suite au chef-d’œuvre du 18° siècle. Quinze ans après, elle se retrouve face à celle qu’elle a cruellement manipulée, Cécile de Volanges. Un face à face fascinant dans un huis clos sulfureux et brûlant.

Vengeance

Quinze années après leur dernière rencontre, deux femmes de retrouvent dans un petit salon pour se livrer à la plus féroce des mises à mort, celle qui est nourrie par la vengeance. Cécile de Volanges retrouve la féroce Marquise de Merteuil, prête à publier ses mémoires. Mais la marquise sera sommée de renoncer à son projet sous la menace de la jeune femme, bien décidée à lui faire payer tout le mal qu’elle a subi. Dans le roman épistolaire de Choderlos de Laclos, publié en 1782, la jeune Cécile quitte le couvent pour faire l’apprentissage du monde et pour épouser le comte de Gercourt. Il se trouve que ce dernier a été l’amant de la Marquise de Merteuil, qui va utiliser un autre libertin, le vicomte de Valmont, pour séduire Cécile et la déflorer avant le mariage. C’est le drame de cette jeune victime, d’avoir été le jouet de deux manipulateurs : Merteuil par vengeance et Valmont par libertinage. Marjorie Frantz a eu la bonne idée d’inventer une suite aux Liaisons Dangereuses, alors que la Révolution Française a eu lieu.

Duo de dames à fleurets non mouchetés

©Cedric Vasnier

Dans un salon plus vrai que nature, la Marquise de Merteuil-Marjorie Frantz, s’impatiente. Qui lui a donné rendez-vous ? Qui est cette jeune femme blonde qui ironise à son sujet, tout en dévoilant peu à peu ses cartes ? Chloé Berthier campe cette Sophie de Volanges meurtrie, qui vient lui demander des comptes sous la menace. La toute jeune fille encore prude est devenue une femme amoureuse, trahie et trompée, violée malgré elle, qui fait face à son ainée Merteuil, la diabolique féministe qui prétend rivaliser avec les hommes. La langue est belle, incisive, fleurie à l’instar de celle du XVIII° siècle et les formules font mouche. La Marquise, une veuve qui a très tôt refusé sa condition inférieure de femme, l’effacement et l’inaction de ses soeurs, choisit très vite le libertinage et la séduction pour rivaliser avec les hommes dont elle combat la domination sexuelle et sociale. Insincère, manipulatrice, cruelle, sa rage envers les hommes et le contrat social la pousse à jouer avec le cœur et le corps de ses amants ou rivaux. 

Le triomphe de la raison

Sophie de Volanges est son juste contraire, engagée et blessée, venue pour faire plier la Marquise et « laver l’honneur » de son amant Valmont, dont elle a un enfant. Empreinte de vertu mais aussi de colère, chargée d’invectives contre la maléfique Marquise qui fait valser bruyamment toute morale, Volanges veut aussi se sauver elle-même de l’empreinte nauséabonde de cette vengeance destructrice. Un manuscrit va être le gage de ce salut. Les deux comédiennes rivalisent de talent et d’engagement dans ce duel littéraire brillant qui nous replonge dans les affres du roman.  Le dialogue direct, à la différence des lettres, permet aussi d’accélérer l’action et de provoquer un renversement de situation ou chaque femme s’explique en pleine lumière. Mis en scène par Salomé Villiers, Molière de la Révélation Féminine pour Le Montespan, ce Merteuil fait mouche et touche au cœur.

Hélène Kuttner